La crise sanitaire que nous avons traversé et pour laquelle – croisons les doigts – nous semblons entrevoir une certaine « sortie », aura considérablement secoué et éprouvé nos organisations de travail. A la lecture des premiers signaux de ce qui semble être un rebond économique, elles semblent au final avoir résisté à l’effondrement que l’on craignait durant les angoissants mois de mars et avril 2020. Cette résilience aura été, il est vrai fortement aidée par les mesures de soutien des pouvoirs publics : le fameux « quoi qu’il-en-coûte ».

Cette période aura par ailleurs comporté son lot d’impacts positifs inattendus : l’accélération des transformations digitales, la levée des résistances psychologiques au télétravail, la banalisation des outils de communication à distance…avec leurs bénéfices en termes de productivité, de flexibilité et d’audace organisationnelle.

Par ailleurs, cette crise aura paradoxalement permis d’avancer sur le sujet de la qualité de vie au travail (QVT), dans la mesure où elle a conduit les entreprises, pour répondre à l’urgence, à réaliser des expérimentations audacieuses dans la préservation de l’équilibre vie privée-vie professionnelle ainsi que dans la vigilance au bien-être des salariés.

En résumé, dès que les indicateurs économiques confirmeront le rebond entrevu, nous serons dans une large mesure « tirés d’affaire ».

Pour autant, si ce raisonnement vaut pour la dimension économique, il n’interroge pas les possibles impacts de cette crise sur des « couches plus profondes » de nos organisations, à savoir les dimensions psychosociologique ou psychodynamique. Or, cette interrogation de « l’intimité de nos organisations » nous semble d’autant plus nécessaire que la période écoulée aura très fortement éprouvé les «fondations» de nos organisations. C’est une épreuve qui aura secoué, angoissé, isolé, mobilisé, découragé, épuisé, révélé… autant au plan individuel que collectif.

Elle aura principalement touché nos « liens » : lien à soi-même, aux autres, au collectif, à l’entreprise, aux clients… Or, ce sont ces liens qui sont le ciment de la performance collective.

Il nous faut envisager l’hypothèse que ces liens ne puissent plus être pareils qu’avant, ce d’autant plus que l’on semble s’acheminer vers une pérennisation de certains gestes, mesures ou réflexes de protection. Qu’advient-il du lien quand on passe de la distanciation subie à une distanciation plus institutionnalisée ?

En plus des défis propres au travail à distance (que nous connaissions déjà mais qui vont être plus prégnants : comment maintenir une communauté dans la dispersion, etc), d’autres interrogations s’annoncent plus complexes :

  • Que deviennent les notions de « projet commun » ou de « vision partagée » lorsqu’une organisation collective se caractérise par une proportion importante de « nomadisme » ?
  • Qu’advient-il à long terme des liens de régulation sociale dans une organisation tournée vers le « distanciel par défaut » ?
  • Quels vont être nos seuils physiologiques de visio-tolérance ou de visio-endurance ?
  • Quels effets à long terme sur nos capacités communicationnelles d’une privation prolongée de la présence physique à l’autre et du non-verbal ?
  • Comment réduire la possible fracture qui a pu se faire jour entre la sur-mobilisation des uns et la mise en retrait des autres ?

Au sortir de cette crise, deux manières de penser le monde se font face :

  • d’un côté, ceux pour qui cette période de crise sanitaire a d’ores et déjà changé de manière définitive et irréversible notre vivre-ensemble,
  • de l’autre, les tenants d’un pragmatisme sceptique qui misent avant tout sur la résilience de nos systèmes socio-organisationnels.

Même s’il faut se garder de toute surinterprétation ou sur-réaction, qui peut croire que le « monde d’après » ne sera qu’un retour au « monde d’avant » reprenant son cours comme si de rien n’était ?

A coup sûr, il semble que ce soit avec un subtil mélange de vigilance, de curiosité et d’optimisme que nous devrions aborder la période qui s’ouvre pour nos organisations.